Analyse du jour

Franc Fort ou Piège de Kinshasa ? Bukavu S’interroge : La Stabilisation Monétaire, une Arme Politique dans l'Est Occupé


Après l’injection de 50 millions USD par la Banque Centrale du Congo (BCC) le 18 août 2025, suivie d’une appréciation spectaculaire du franc congolais (FC) dans les zones de l’Est sous contrôle de l’AFC/M23, puis de l’annonce d’une adjudication de 50 millions USD d’obligations du Trésor à Kinshasa, une question traverse désormais les esprits à Bukavu : Cette stabilisation du franc est-elle conjoncturelle ou cache-t-elle une stratégie institutionnelle destinée à affaiblir l’économie des zones dites « occupées » ?


Depuis début octobre, le dollar s’échange entre 2 000 et 2 500 FC à Bukavu, contre près de 3 000 FC un mois plus tôt. Une baisse spectaculaire, saluée au départ par certains, est vite perçue comme une illusion de stabilité dans les faits.
Sur les marchés de Kadutu, Nyawera, Major Vangu, la Place de l’Indépendance, Katana et ailleurs, les prix n’ont presque pas bougé : le pain se vend entre 250 et 300 FC, le sucre à 3 000 FC le kilo, la farine à 50 000 FC le sac, et les loyers restent inchangés.

« On parle d’un franc fort, mais notre ventre est toujours vide », lance une vendeuse du marché Feu Rouge. « On dirait que cette baisse du dollar ne sert qu’à faire croire à Kinshasa que tout va bien. » La stabilité monétaire affichée ne se traduit pas en amélioration du pouvoir d’achat, alimentant la suspicion populaire.

Injection d’Août et Emprunt d’Octobre : Les Jalons d’un Scénario Politique ?


Le 18 août 2025, la BCC annonçait l’injection de 50 millions USD sur le marché pour freiner la spéculation. À peine deux mois plus tard, le 21 octobre 2025, le Ministère des Finances publiait un communiqué lançant une adjudication du même montant en obligations du Trésor, au taux de 9 % l’an.


Ce timing interroge les analystes locaux :
« Kinshasa n’a pas simplement cherché à stabiliser le franc, mais à perturber le système économique de l’Est, qui fonctionne désormais en autonomie sous régime révolutionnaire, » estime un analyste économique indépendant de Bukavu. « On a d’abord asséché le marché en dollars pour forcer une baisse du taux, puis on reprend la main par un emprunt institutionnel. C’est une manœuvre budgétaire à double tranchant visant à centraliser la gestion de la liquidité en devises, essentielle pour la région. »

L’opération est perçue comme un jeu de yo-yo financier : on fournit d’abord les dollars, puis on les récupère via un emprunt, s’assurant que la relance économique reste sous contrôle centralisé.


Bukavu, entre Économie de Survie et Méfiance Institutionnelle


La ville vit depuis plusieurs mois sans banques fonctionnelles, sans Institutions de Microfinance (IMF), et avec un retour timide des messageries financières. L’activité repose presque entièrement sur le mobile money, colonne vertébrale d’une économie locale résiliente mais hors du circuit monétaire officiel.


« Nous vivons une économie de survie, pas une économie organisée, » confie un opérateur Airtel Money. « Quand la BCC joue avec le dollar, nous, on subit les contrecoups. » La chute du dollar a d’ailleurs entraîné une baisse des marges pour les changeurs et une instabilité des tarifs de transfert, fragilisant davantage les acteurs de l’économie parallèle.

Stratégie Monétaire ou Arme Géopolitique ? Les Lectures Opposées

  1. Lecture Conjoncturelle (Mécanique Économique) :
    Pour certains experts, la baisse du dollar est une réaction purement mécanique à l’injection d’août, renforcée par une faible activité économique (fermeture des routes, instabilité). Moins de circulation, moins de demande en devises, donc une baisse logique et temporaire.
  2. Lecture Institutionnelle (Stratégie Politique) :
    D’autres y voient une stratégie politique et monétaire délibérée de Kinshasa visant à :
  • Rendre la zone « occupée » dépendante d’un flux financier centralisé.
  • Créer une illusion de stabilité pour neutraliser les critiques de la gouvernance de l’Est.
  • Reprendre le contrôle monétaire symbolique sur des territoires échappant à son influence administrative, signalant que la clé du dollar reste détenue par la capitale.
    « Quand la monnaie devient un outil de pouvoir, la finance se transforme en arme politique, » résume un juriste-économiste. « Cette adjudication du Trésor n’est pas qu’une opération financière, c’est aussi un message. »

Le Peuple S’adapte et Se Méfie
Dans les rues de Bukavu, l’incompréhension se mêle à la méfiance. « Le dollar baisse, mais rien ne change, » soupire un taximan. « Peut-être qu’on veut nous endormir avant le réveil brutal. »


Les habitants redoutent une remontée soudaine du taux dès que les réserves locales seront épuisées un scénario déjà vécu. Pour eux, la « stabilité » actuelle du franc congolais relève d’un équilibre fragile et artificiel, sans fondement productif durable.


Malgré tout, l’économie de Bukavu, faite de troc, de paiements hybrides et de solidarité communautaire, résiste. « Nous n’attendons plus Kinshasa pour survivre, » confie une entrepreneure. « Mais nous observons ses manœuvres avec prudence. »


La séquence injection appréciation adjudication interroge plus qu’elle ne rassure. Ce que la population de Bukavu perçoit, ce n’est pas une politique monétaire cohérente, mais un bras de fer économique à distance entre le pouvoir de Kinshasa et celui des territoires de l’Est.


Qu’elle soit conjoncturelle ou institutionnelle, cette dynamique révèle une vérité simple : Le franc congolais n’est pas encore la monnaie du peuple, mais l’instrument du pouvoir central.


Par : C.T. Bienvenu Gilbert Nzungu Nzungu Yumbi, Chercheur en management et économie, Analyste indépendant.

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