L'Ombre de leur Pagnes : Le Sacrifice Infini des Femmes de Bukavu, Banquières de la Famille.

Oubliez les gros titres sur les banques qui ferment ou les allées et venues politiques. L’histoire la plus poignante, la plus déchirante, et pourtant la plus inspirante de Bukavu et Goma ne se trouve pas dans les rapports officiels, mais sur le dos voûté, les mains calleuses, et les yeux fatigués de ses femmes. Elles sont les véritables piliers de cette région en crise, les héroïnes silencieuses dont le courage devrait être gravé dans la mémoire collective.
Face à un chômage endémique aggravé par des décennies de conflits où les maris, diplômés ou non, restent les bras croisés à la maison, ces femmes ont endossé un rôle qui va au-delà de la simple maternité. Elles sont l’unique filet de sécurité.

Leur secret de survie ? Ce n’est pas un système financier international, mais une petite somme d’argent, patiemment accumulée et religieusement conservée. C’est l’argent du « mutuel » (ou « ambulance » comme on l’appelle tendrement ici) cette micro-épargne rotative que les mamans gardent jalousement dans leur pagne, à l’abri de toutes les convoitises. C’est leur banque personnelle, toujours ouverte, capable de faire face aux urgences du quotidien.
C’est cet argent qui paie le loyer, achète les médicaments, et surtout, assure l’avenir.
Le Sacrifice à l’Aube : Le Chemin de l’Abattoir
Pour subvenir aux besoins, elles sont devenues les transfrontalières, le cœur battant de l’économie locale. Leur engagement est un sacrifice physique et moral qui commence bien avant le lever du jour.

À l’aube, elles se dirigent vers des lieux comme l’abattoir d’Elakat, mashidji, à Bukavu, où elles acquièrent leurs provisions : sacs de fruits, légumes frais, et autres produits de première nécessité venant souvent du Rwanda voisin. Elles franchissent les frontières, négocient les prix, subissent les tracasseries, les moqueries, parfois les violences.
« Quand je porte mon panier sur la tête, il ne pèse pas seulement des kilos de manioc. Il pèse le destin de mes quatre enfants, les cahiers de classe de l’année prochaine, et la fierté de mon mari qui ne veut pas me voir échouer. C’est ce poids-là qui me donne la force de marcher, même quand mes pieds saignent, » confie Maman Zawadi, vendeuse de bananes plantains au marché de Nguba.
Les Reines du Kasoko
Leur champ de bataille quotidien, ce sont les routes boueuses, les marchés animés et les innombrables kasokos ces petits marchés de quartier improvisés. Sous un soleil de plomb ou une pluie battante, elles étalent leurs maigres marchandises sur des sacs ou des bâches, le regard fixé sur chaque passant. Ces femmes ne vendent pas seulement des tomates ou des avocats ; elles achètent l’éducation.
Elles sont l’économie de la résilience. Elles sont celles qui ramènent de la nourriture à la maison et, par leur labeur acharné, nourrissent et honorent ces maris au chômage, minés par la honte de l’impuissance. Elles font taire la faim, mais surtout, elles scolarisent leurs enfants le seul héritage qu’elles croient pouvoir leur léguer pour briser le cycle de la misère.
Regardez-les. Ces femmes qui se lèvent à 4h du matin pour que leur enfant puisse rêver en classe. Ces « femmes fortes » qui ont absorbé le choc de la guerre et de la crise, non pas en fuyant, mais en se tenant debout, les coudes serrés.

Ce sont elles, les véritables Amazones de la RDC. Leur courage n’est pas celui d’une bravoure militaire, mais celui d’une bravoure d’amour inconditionnel. Elles se sacrifient, se privent de tout, pour que leurs familles aient un avenir.
Si vous cherchez un modèle de dévouement, si vous cherchez le secret de la survie de cette région face à l’adversité, ne cherchez pas plus loin. Il est dans les larmes essuyées d’un revers de main sur un stand de marché, dans la sueur qui perle sur le front sous le poids de la marchandise.
Elles portent le monde sur leurs épaules. Et ce faisant, elles méritent plus qu’un simple article. Elles méritent l’admiration, le respect, et que l’on se souvienne à jamais du sacrifice infini d’une mère pour ses enfants.
Les Associations Villageoises d’Épargne et de Crédit (AVEC) : Ces groupes solidaires autonomes, souvent mis en place, permettent aux femmes d’épargner ensemble de petites sommes et de se prêter de l’argent entre elles à des taux faibles, renforçant ainsi la cohésion sociale et la capacité d’investissement locale.
Ces initiatives sont le souffle qui permet aux Amazones du Kivu de ne pas sombrer. Elles transforment les larmes de l’épuisement en larmes de fierté, et le sacrifice en une victoire collective pour toute la communauté. Elles prouvent que le soutien, même minime, peut transformer un fardeau en un levier d’espoir inébranlable.
Par Alain Kanyombo



