Du Bruit de Bottes à la Branche d'Olivier : Le Virage Stratégique de Tshisekedi à Bruxelles

Le discours du Président Félix Tshisekedi au Global Gateway Forum restera une séquence clé dans la crise RDC-Rwanda. En appelant son homologue Paul Kagame à une « paix des braves », le dirigeant congolais a opéré une nuance stratégique majeure qui contraste fortement avec la rhétorique d’intransigeance et de confrontation qui a caractérisé sa ligne politique ces derniers mois.
L’Explosivité de l’Ancienne Ligne : Du Refus à la Menace
Jusqu’à cette intervention bruxelloise, la posture de Kinshasa était définie par des lignes rouges fermes, dont la tension politique maximale : L’Intransigeance Face aux Proxys : « Je ne négocierai jamais avec les pantins. L’AFC/M23 est une coquille vide. » Cette position a permis à Kinshasa de refuser la légitimation politique du M23, réaffirmant qu’il s’agit d’une force supplétive du Rwanda. L’appel à Kagame pour qu’il donne l’ordre d’arrêter l’escalade maintient cette ligne : l’interlocuteur n’est pas le M23, mais son parrain présumé. La Menace de Rétorsion Maximale : « À partir ya Goma tokoki ko toucher Kigali wana ! » Cette phrase, la plus explosive de toutes, témoignait d’une dissuasion militaire poussée à l’extrême. Elle élevait le niveau de la menace au-delà du conflit territorial classique, évoquant la possibilité d’une frappe sur la capitale rwandaise. Cette rhétorique, populaire en RDC, a servi à rassurer l’opinion sur la fermeté du pouvoir face à l’avancée du M23 sur l’axe Goma.
Le Froid Diplomatique : « Je rencontrerai mon frère Kagame au ciel. » Symbole d’une rupture relationnelle profonde, cette formule exprimait un refus de dialogue au sommet.
Le « Pont » de la Paix des Braves
Face à l’échec des mécanismes de désescalade régionaux et à l’impasse militaire dans l’Est, Tshisekedi a choisi l’espace européen pour proposer une porte de sortie honorable, mais sous forte pression. La « paix des braves » est un oxymore stratégique : elle exige des deux leaders une preuve de courage et de grandeur pour dépasser les rancœurs, mais elle est conditionnée à l’arrêt de l’agression rwandaise via le M23.
En affirmant, « Nous sommes les deux seuls capables d’arrêter cette escalade », Tshisekedi réalise un double coup diplomatique : Il reconnaît implicitement la centralité du Rwanda dans la crise, tout en le tenant pour responsable. Il contourne les mécanismes régionaux jugés inefficaces pour exiger une solution bilatérale et politique, court-circuitant l’idée de devoir négocier directement avec les groupes armés.
Le discours de Bruxelles est donc l’abandon de la logique de la riposte maximale (« toucher Kigali ») au profit d’une stratégie de résolution politique sous l’œil de la communauté internationale. Il permet à la RDC de se positionner comme l’acteur de la désescalade, inversant la pression sur Kigali pour qu’il réponde publiquement à cette offre de paix.
Les Enjeux pour Kigali et la Communauté Internationale
L’intervention de Tshisekedi est une épreuve de vérité pour Kagame. Accepter la main tendue impliquerait une reconnaissance, même indirecte, du soutien au M23, une position que Kigali a toujours farouchement niée. Refuser serait se mettre à dos la Communauté Européenne, partenaire clé dans l’initiative Global Gateway qui finance le développement africain.
Le Président congolais a ainsi déplacé le jugement de la crise du champ de bataille à l’arène morale et historique, rappelant que « l’histoire nous jugera ». L’issue de cet appel à la « paix des braves » déterminera si la RDC et le Rwanda passeront d’une diplomatie de l’escalade à une véritable voie de désamorçage.
L’Europe et les États-Unis sont désormais invités à exercer une pression maximale pour que l’offre de paix soit concrétisée par le retrait effectif et vérifiable du M23 de l’Est de la RDC.