Préparer le jour d’après. Le jour où (peut-être) le gouvernement congolais se retrouvera autour de la table des négociations avec la rébellion du M23. C’est en tout cas la stratégie de la plateforme politico-militaire Alliance fleuve Congo (AFC), lancée par Corneille Nangaa. Autour de l’ex-président de la Commission électorale (CENI), on retrouve d’obscurs partis politiques, des mouvements citoyens dont les noms ne sont pas dévoilés, des groupes armés comme le FRPI, les Twirwaneho de Michel Rukunda ou le groupe Zaïre, mais c’est surtout la présence du M23 qui retient l’attention. Le M23 est actuellement le groupe armé le plus puissant qui sévit dans l’Est congolais et qui contrôle de nombreuses localités des territoires du Masisi, du Rutshuru et du Nyiragongo. Aujourd’hui, la rébellion soutenue par le Rwanda, selon les Nations unies, reste en position de force et bloque les principaux axes d’approvisionnement de la ville de Goma, la capitale du Nord-Kivu.

Lancée quelques jours avant la présidentielle du 20 décembre 2023, l’Alliance du fleuve Congo est d’abord une question de timing qui ne doit rien au hasard. Depuis plusieurs mois, Corneille Nangaa faisait le forcing pour revenir sur la scène politique congolaise, avec pour principale cible le président Félix Tshisekedi dont il avait pourtant proclamé la victoire contestée à la présidentielle de 2018. L’ex-chef de la centrale électorale était d’ailleurs revenu sur les conditions frauduleuses de l’élection de l’actuel chef de l’Etat. Corneille Nangaa avait révélé qu’un accord politique « existait bel et bien » entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. « Il a précédé la publication des résultats définitifs. J’en suis l’un des co-rédacteurs », a même précisé Nangaa, validant ainsi le tour de passe-passe de la « nomination » de Félix Tshisekedi.

Mais derrière la création d’Alliance fleuve Congo, c’est bien la rébellion du M23 qui est à la manoeuvre. Lors de son lancement à Nairobi en décembre dernier, le chef politique du M23, Bertrand Bisimwa, se trouvait en bonne place aux côtés de Corneille Nangaa sur la photo de famille de la nouvelle plateforme. A l’époque, Nangaa et Bisimwa pensaient surfer sur un rejet de Félix Tshisekedi par les électeurs du scrutin de décembre. Malgré un bien maigre bilan et un échec complet sur le plan sécuritaire avec le retour des rebelles M23 à l’Est, le président sortant a obtenu, officiellement, le score écrasant de 73%, sans aucune contestation populaire. Même si les résultats du scrutin apparaissent des plus douteux, l’Alliance fleuve Congo n’a pas pu s’engouffrer dans un quelconque mouvement de protestation post-élection. Sur ce plan, le calcul politique est raté.

Mais en s’alliant avec Corneille Nangaa, la rébellion a une tout autre stratégie en tête : préparer une possible phase de négociation avec le gouvernement congolais. Avec Corneille Nangaa, la rébellion peut présenter une vitrine politique avec à sa tête une personnalité reconnue de l’échiquier politique congolais. La plateforme s’est récemment dotée d’un nouveau membre avec l’adhésion de Jean-Jacques Mamba. Comme Nangaa, c’est un fin connaisseur de la politique congolaise qui rejoint le mouvement. Ancien proche du patron du MLC et ministre de la Défense, Jean-Pierre Bemba, Jean-Jacques Mamba a été porte-parole du parti avant d’en démissionner en janvier 2024 pour rejoindre l’Alliance fleuve Congo. Kasaïen, comme le chef de l’Etat, la nouvelle recrue de l’AFC renforce la composante politique du M23. Et c’est le principal objectif du M23 : envoyer des politiques négocier et non des miliaires.

Derrière l’initiative de Corneille Nangaa, certains voient également la main de Joseph Kabila. L’ancien président, dont le parti a boycotté les élections de décembre, ne s’est pas exprimé depuis la réélection de Félix Tshisekedi. Affaiblir celui qui a rompu le pacte de partage du pouvoir de 2018 ne déplairait pas au Raïs, dont beaucoup affirment qu’il n’a pas décidé de raccrocher les gants. Signe qui ne trompe pas, un ancien cadre du PPRD, le parti kabiliste, a lui aussi rejoint l’Alliance fleuve Congo. Adam Chalwe, directeur de Malaïka TV, une télévision privée émettant depuis Lubumbashi, a été photographié récemment aux côtés de Corneille Nangaa, avant d’être licencié par sa chaîne.

Depuis, il a affirmé sur les réseaux sociaux vouloir « se conformer à l’article 64 de la Constitution » congolaise « aujourd’hui bafouée par un conglomérat de malfaisants qui a perdu toute légitimité ». Les objectifs de l’AFC sont clairs : faire tomber le pouvoir de Kinshasa.

Dans sa conférence de presse, Jean-Jacques Mamba s’en est pris violemment au président Félix Tshisekedi, dénonçant « le tribalisme, le népotisme, la corruption » et « la parodie » des élections du 20 décembre qui se sont prolongée pendant 7 jours. Ironie du sort, c’est Joseph Kabila, avec la complicité de Corneille Nangaa, qui a porté Félix Tshisekedi au pouvoir en tripatouillant les résultats du scrutin. Celui-là même que l’Alliance fleuve Congo veulent destituer. Pour être clair, aucun observateur averti ne voit l’AFC et le M23 venir renverser le pouvoir à Kinshasa. Le mouvement rebelle est largement impopulaire dans le pays et semble cristalliser tous les maux du Congo. Un rejet largement alimenté durant la campagne électorale par le candidat-président Tshisekedi. Il faut dire que les Congolais voient dans l’aventure de l’AFC de Nangaa comme une répétition de l’Histoire avec l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila, qui a plongé le pays dans presque deux décennies de chaos.

Le pari est donc des plus risqués pour les membres de l’Alliance fleuve Congo. Tout repose sur une possible, mais encore très hypothétique, négociation entre le M23 et les autorités de Kinshasa. Pour l’heure, Félix Tshisekedi a fermé la porte avec toute négociation avec la rébellion. Il exige le retrait du M23 de ses positions et le départ des soldats rwandais du sol congolais pour éventuellement ouvrir des discussions avec son turbulent voisin. Le parlement avait lui aussi fermé la porte à toute réintégration des rebelles au sein de l’armée congolaise. Les députés souhaitaient mettre fin à « la prime aux rebelles » et au cycle sans fin « démobilisation-réintégration-rébellion ». Mais pour l’instant, Kinshasa n’est pas en position de force sur le terrain militaire. La force régionale de la SADC et les casques bleus verrouillent l’accès des rebelles à Goma, mais le M23 campe toujours sur ses positions. Washington et Luanda poussent Kinshasa et Kigali à se parler, mais rien ne dit qu’en cas de négociations, l’Alliance fleuve Congo soit le principal interlocuteur des autorités congolaises. Dans le camp présidentiel, certains en font même une question d’honneur.

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