Partage de Contenus Intimes sans Consentement : Un Fléau qui Sape les Vies à Bukavu ( Reportage )

Le partage non consenti de photos ou vidéos intimes est un acte d’une gravité inouïe qui, malheureusement, gagne du terrain au sein de nos communautés. Ce phénomène, relayé par de nombreuses pages, comptes et groupes WhatsApp, sème la terreur, l’anxiété, la honte et l’isolement chez les victimes, pouvant entraîner des conséquences dévastatrices telles que la perte d’emploi, une baisse de l’estime de soi, voire un profond traumatisme.
Dans la ville de Bukavu, au Sud-Kivu, cette pratique est devenue monnaie courante, faisant de jeunes filles et garçons de nombreuses victimes. Votre média, Ruzizi la Plume, est allé à la rencontre de Madame Francine Bahati, l’une de ces victimes, dont la vie a basculé après que son ex-petit ami a publié des contenus intimes la concernant.
Francine Bahati évoque la désolation et la honte qu’elle a ressenties durant toute la période où ses vidéos et photos ont été publiées sur WhatsApp, Facebook et TikTok. Elle partage son récit poignant :
« Ce jour-là, je ne savais même pas ce qui se passait sur les réseaux sociaux. Je me rappelle que mon petit ami m’a demandé qu’on couche ensemble. Je lui ai dit d’être patient, car j’étais en pleins examens et j’étais encore vierge. La peur s’est installée en moi face à une pratique à laquelle je n’étais pas habituée. Durant notre conversation, il m’a demandé de le faire le lendemain. Je lui ai dit que c’était impossible. Quelques heures après, il m’a demandé de lui envoyer une vidéo de moi nue. J’ai dit non. Il m’a suppliée de le faire « pour notre amour ». Je lui ai dit que j’avais peur d’être vue sur internet. Il m’a promis que ça resterait entre nous. Après, je lui ai envoyé la vidéo et quelques photos de ma chambre. Il écrivait que j’étais belle, que mon corps lui parlait d’amour et de l’avenir heureux qu’il allait vivre avec moi. Deux semaines après, il m’a encore demandé quel jour nous ferions l’amour. Je lui ai dit « demain ». Le matin à mon réveil, j’ai eu mes règles, il m’était impossible de me déplacer. Je lui ai dit, mais il ne m’a pas cru et m’a encore demandé une photo de preuve. Je lui ai encore envoyé. Trois mois après, il m’a encore demandé de venir, alors j’ai dit non, « je ne suis pas prête ». Il m’a dit que si je ne venais pas là où il se trouvait à l’hôtel, il publierait mes photos et vidéos. Je n’ai pas cru qu’il pouvait encore avoir ces photos et vidéos. J’ai refusé. Deux heures après, mon ami m’a téléphonée, me disant qu’il venait de me voir sur un groupe WhatsApp. Je lui ai demandé de m’envoyer la vidéo en question. J’ai découvert que c’était moi et la vidéo était devenue virale. J’ai passé trois mois sans bouger de la maison, tout le monde me regardait comme Lucifer. »
Interrogée sur les raisons pour lesquelles elle n’a pas porté plainte et sur le soutien de sa famille, Francine confie :
« Mon père a été hospitalisé à cause du choc que j’ai causé à ma famille. Ma mère m’a frappée à cause de mes actes. Mon petit ami a pris la fuite vers une destination inconnue. Il était impossible de porter plainte selon mon frère. J’ai commencé à voir un psychologue qui m’a aidée à me reconstruire. Jusqu’à présent, j’évolue bien, mais je peux dire que c’est un acte compliqué de faire confiance à quelqu’un qui va publier votre nudité après. Mais ça va déjà, je prépare déjà mon mariage, c’est une grâce pour moi et l’homme avec qui je suis ne me juge pas, » a déclaré Francine Bahati.
Maître Augustin Pendeza, juriste, éclaire sur les aspects légaux souvent méconnus concernant ce type d’infractions. Selon lui, cinq points essentiels sont à retenir :
- Atteinte à la pudeur et atteinte à la vie privée : La publication de photos ou vidéos de nudité sans consentement est un acte illégal et une atteinte à la vie privée, pouvant être qualifiée d’attentat à la pudeur.
- Sanctions pénales : Conformément au Code pénal congolais, les auteurs d’un attentat à la pudeur s’exposent à des peines de servitude pénale, allant de plusieurs années de prison et d’amendes.
- Loi sur la protection des données à caractère personnel : La loi sur les données personnelles peut également être invoquée pour sanctionner la publication non autorisée d’images ou de vidéos intimes, celles-ci étant considérées comme des informations personnelles.
- Voyeurisme : Dans certains cas, la publication de la nudité sans consentement peut être qualifiée de voyeurisme, une infraction pénale.
- Tentative : Même la tentative de révéler des images intimes sans consentement est punissable.
La loi congolaise protège la pudeur et la vie privée, et la publication non autorisée d’images intimes peut avoir des conséquences pénales sérieuses pour l’auteur. Maître Pendeza invite instamment les habitants de Bukavu à dénoncer ces actes qui détruisent le tissu social.
Alain Kanyombo