Rivière Mfwa : Le joyau oublié qui pourrait transformer le Kasaï Central

À Kinshasa, Le 11 juillet 2025, Thomas Minesi, fondateur de l’ONG Congo Nature, a offert un aperçu captivant d’une initiative qui promet de redéfinir la conservation en République démocratique du Congo. Au micro de Kilalopress, Minesi a dévoilé les contours d’un projet ambitieux centré sur la rivière Mfwa, joyau méconnu niché au cœur du village Bakwamayi, dans le Kasaï central. Entre engagement écologique, développement communautaire et reconnaissance institutionnelle, cette établissement s’annonce comme un modèle pour la protection de la biodiversité congolaise.
Thomas Minesi : Je suis Thomas Minesi, le président de l’établissement d’utilité publique Congo Nature,qui oeuvre dans la protection de l’environnement et le développement communautaire.

Kilalopress : Qu’est-ce qui vous a mené jusqu’à cette rivière méconnue au cœur du Kasaï central, et comment cette aventure a-t-elle commencé ?
Thomas Minesi : Tout est parti d’une passion personnelle : l’aquariophilie. En 2018, je cherchais des poissons d’aquarium endémiques et on m’a parlé d’un lieu reculé, dans le territoire Dimbelenge, au cœur du Kasaï central. Quand je suis arrivé dans le groupement des Bakwamaï et le groupement Chipidimba, j’ai découvert une rivière d’une clarté inédite, la Mfwa. C’est un site d’une beauté naturelle rare,parce que ce sont des poissons qui sont endémiques à la rivière.
Il y a plusieurs espèces qui n’existent uniquement dans cette rivière-là que ma mère m’avait déjà décrit lorsqu’elle était à l’internat à Luluabourg dans les années 50. Elle disait que c’était l’un des plus beaux endroits qu’elle ait vus. Je suis allé sur ses traces… et je suis tombé amoureux de cet endroit.

Kilalopress : Cette rencontre entre mémoire familiale et biodiversité semble avoir été un véritable déclencheur. Que s’est-il passé ensuite ?
Thomas Minesi : Exactement. Et c’est là qu’est née l’idée de fonder Congo Nature, pour protéger cette rivière unique mais aussi répondre à la précarité criante des communautés riveraines.
Kilalopress : En lien avec les engagements pris par la RDC dans le cadre de l’Accord de Kunming-Montréal, où en est concrètement votre initiative aujourd’hui ?
Thomas Minesi : La République démocratique du Congo s’est engagée à porter sa surface protégée à 30 % d’ici 2030, contre environ 17 % actuellement. Notre projet entre précisément dans cette dynamique. Nous travaillons à créer ce qui sera, si tout se passe bien, la première aire protégée de la province du Kasaï central. Mais cela n’a pas été facile : il a fallu six ans de sensibilisation, de discussions avec les autorités coutumières, provinciales et nationales pour faire comprendre les enjeux. Aujourd’hui, nous avons leur consentement, y compris celui du gouvernorat.

Kilalopress : Qu’est-ce qui rend la rivière Mfoa si précieuse, au-delà de sa beauté apparente ?
Thomas Minesi : C’est une dépression karstique — ce type de rivière filtrée naturellement par des galeries calcaires existe ailleurs, mais souvent sur des tronçons très courts. La Mfwa, elle, fait 15 kilomètres de long, ce qui est exceptionnel. Et surtout, elle abrite des espèces de poissons qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde. C’est un trésor de biodiversité. En comparaison, le Rio Sucuri, au Brésil, qui attire des milliers de touristes chaque année, ne fait que 735 mètres… Imaginez le potentiel.
Kilalopress : On devine un fort potentiel touristique. Mais quels bénéfices tangibles ce projet peut-il apporter aux communautés locales ?
Thomas Minesi : Nous voulons bâtir un écologe sur place. une fois lancer ce Il faudra des guides touristiques, des éco-gardes, des cuisiniers, du personnel pour l’entretien… Toute une chaîne d’emplois directs. Et autour de cela, des activités connexes vont émerger : artisans, transporteurs, restaurateurs, agriculteurs pour fournir les denrées. C’est un écosystème économique durable, qui s’auto-alimente et qui profite aux habitants.

Kilalopress : La loi n°14/003 du 11 février 2014 sur la conservation de la nature en RDC souligne que toute aire protégée doit intégrer les populations riveraines dans sa gestion. Comment cette exigence est-elle prise en compte dans votre démarche ?
Thomas Minesi : Nous ne voulons pas simplement protéger la nature, mais enraciner cette protection dans le développement communautaire. Nous espérons obtenir des financements pour construire des écoles, des centres de santé, des forages pour l’eau potable, améliorer la connectivité. Nous rêvons que ce projet soit une aire protégée d’intérêt provincial mais à vocation communautaire, où la nature et l’humain grandissent ensemble.
Kilalopress : Quelles sont les étapes clés que vous devez encore franchir pour officialiser cette aire protégée ?
Thomas Minesi : Oui, absolument. Maintenant que nous avons obtenu les premiers consentements du gouvernorat, des autorités coutumières et de la population, nous allons justement entamer toutes les études exigées par le gouvernement congolais pour pouvoir créer officiellement l’aire protégée. Cela inclut une étude d’impact environnemental et social, un inventaire de la biodiversité, la cartographie du site avec participation communautaire, et le renforcement du CLIP. Ce sont les prochaines étapes dans les semaines à venir. Nous sommes prêts à passer à cette phase plus technique, et nous cherchons aussi à mobiliser les moyens nécessaires pour respecter toutes les normes.
Kilalopress : Dans le contexte de la décentralisation, où les provinces ont de nouvelles responsabilités environnementales selon la loi organique n°08/016, comment se passe votre collaboration avec les autorités locales et nationales ?
Thomas Minesi : Je dirais que c’est l’un des piliers du projet. Avec toutes les communautés, c’est presque familial : cela fait sept ans que je vais sur place, je connais les familles, les chefs, les jeunes et les enfants. On s’appelle chaque semaine. C’est un lien humain.
Kilalopress : Et avec les autorités administratives plus formelles ?
Thomas Minesi : Très bon contact aussi. L’administrateur du territoire de Dibéléngué est un homme éclairé, formé en psychologie, qui a rapidement saisi l’intérêt de notre démarche. Même au gouvernorat, bien que nous n’ayons pas encore rencontré le gouverneur lui-même, le vice-gouverneur a exprimé un soutien clair. Lorsque Sino-Hydro, une société chinoise, a commencé à exploiter la roche juste au-dessus des sources de la Mfoa, les autorités ont stoppé les travaux et demandé leur délocalisation. C’est un signe fort que nous allons dans la bonne direction, ensemble.
L’interview touche à sa fin, mais le sentiment persiste que ce projet n’en est qu’à ses débuts. Il est la preuve que l’écologie peut être un levier de transformation sociale, quand elle est menée avec sincérité, vision et enracinement local.