Cela faisait de nombreux mois que la candidature de Denis Mukwege se précisait. Il y a d’abord eu l’appel d’un groupe d’intellectuels et de membres de la société civile en juin 2022, qui demandait au docteur d’être « l’ultime recours » de la prochaine présidentielle. Et puis il y eu ses nombreuses sorties médiatiques pour dénoncer le risque de balkanisation du pays, le rôle de déstabilisation des pays voisins, mais aussi pour critiquer la mauvaise gouvernance de Félix Tshisekedi, la corruption à tous les étages et l’instrumentalisation de la justice. Le médecin avait même co-signé une tribune avec deux autres candidats déclarés, Martin Fayulu et Augustin Matata Ponyo. Mi-septembre, un groupe de femmes lui avait remis 100.000 dollars qu’elles avaient collectés pour qu’il dépose la caution de sa candidature. Ce lundi, dans la grande salle de la paroisse Fatima, plus personne ne doutait des intentions de Denis Mukwege.

« L’homme qui répare les femmes » est-il en mesure de « réparer » son propre pays, en proie aux guerres, à la corruption et à la prédation depuis bientôt 30 ans ? Denis Mukwege est-il l’homme de la situation ? Côté pile, le prix Nobel coche toutes les cases du candidat idéal : issu de la société civile, intègre, multi-récompensé pour son action en faveur des droits de l’homme, reconnu internationalement, et sans compromission avec les différents pouvoirs. Depuis plus de 30 ans, ce gynécologue soigne les femmes victimes de viols et de mutilations sexuelles dans son hôpital de Panzi. Le travail du médecin est reconnu dans le monde entier, et sa candidature retiendra l’attention des médias internationaux à la présidentielle congolaise de décembre.

Côté face, Denis Mukwege est un novice en politique, sans parti structuré et sans véritable ancrage national. A trois mois du scrutin, sa déclaration tardive lui laisse peu de temps pour battre campagne et se faire connaître des Congolais aux quatre coins d’un pays grand comme cinq fois la France. Il faudra aussi que le prix Nobel trouve les ressources financières pour organiser meetings et déplacements. Ses détracteurs voient en Denis Mukwege un « candidat de l’Occident », reçu avec les honneurs par le monde entier, du Pape au président Macron, qui l’a rencontré en marge de son déplacement en RDC, à l’ambassade de France. N’est-il pas davantage connu en dehors du Congo que dans son propre pays ? Mais surtout, Denis Mukwege n’est-il pas qu’un candidat de plus, dans un paysage politique déjà saturé de candidatures de l’opposition ?

Le vrai défi du docteur Mukwege sera d’être en mesure de recoller les morceaux d’une opposition morcelée. Sa candidature vient en effet se rajouter à celle de Martin Fayulu et Moïse Katumbi, deux poids lourds de l’opposition, sans compter les deux anciens Premiers ministres Matata Ponyo et Adolphe Muzito, eux aussi sur la ligne de départ. Dans un scrutin à un tour, seule une grande alliance de l’opposition, derrière un candidat unique, serait en mesure de battre le président sortant. La candidature de Denis Mukwege peut-elle rebattre les cartes et changer la donne ? Le médecin ne s’y est pas trompé en appelant « à la coalition des forces du changement ». Un appel du pied à peine déguisé aux autres ténors de l’opposition, Fayulu, Katumbi et Matata, de se rallier derrière sa bannière. L’invitation est désormais lancée. Il reste un peu moins de trois mois à Denis Mukwege pour convaincre… ou pas.

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