C’est une drôle de campagne électorale qui a démarré ce dimanche en République démocratique du Congo (RDC). Le président Félix Tshisekedi, candidat à sa propre succession, a ouvert le bal avec un meeting géant au stade des Martyrs de Kinshasa. Une campagne paradoxale avec un candidat Tshisekedi qui apparaît comme le favori du scrutin malgré un bien faible bilan. La présidentielle semble, en effet, taillée sur mesure pour la réélection du président sortant.

La Commission électorale (CENI) est largement tenue par le camp présidentiel, et la Cour constitutionnelle a également été remaniée à la main du candidat Tshisekedi. La machine de l’Etat tourne à plein régime pour terminer les dernières réalisations du président, et les moyens financiers pour battre campagne et être présent sur les affiches et dans les médias sont conséquents. Si l’on ajoute plusieurs éléments qui font douter de la sincérité du scrutin, comme un fichier électoral contesté par l’opposition, des bureaux de vote dédoublés et des cartes d’électeurs qui s’effacent… Tout semble réuni pour une victoire programmée du candidat président.

Une grande coalition et un maigre bilan

Sur le plan politique, le chef de l’Etat bénéficie également d’une longueur d’avance. Le candidat est soutenu par une vaste coalition qui réunit de nombreux poids lourds de la vie politique congolaise, comme le MLC de Jean-Pierre Bemba, bien implanté en Equateur, mais aussi l’UNC de Vital Kamerhe et l’AFDC de Modeste Bahati, tous les deux très puissants à l’Est. Tshisekedi bénéficie logiquement du soutien de l’UDPS, le parti présidentiel et d’une série d’ex-députés kabilistes, qui ont tous tourné casaque pour rejoindre la majorité présidentielle au sein de l’Union sacrée de la Nation (USN). Pour inciter les Congolais à déposer un bulletin Tshisekedi dans l’urne le 20 décembre, le président mise sur ses deux actions-phares : la mise en place de la gratuité de l’enseignement primaire, et le programme des 145 territoires, censé construire des nouvelles infrastructures dans les 26 provinces, qui en manquent cruellement.

Echec Sécuritaire Pourtant, côté face, le bilan de Félix Tshisekedi en cinq années d’exercice du pouvoir, apparaît comme une succession d’échecs patents et de rendez-vous manqués. La promesse de Félix Tshisekedi de ramener la paix à l’Est du pays en arrivant dans le fauteuil présidentiel en 2018 a tourné au cauchemar. La rébellion du M23 s’est emparée de nombreux villages du Masisi et du Rutshuru, le nombre de groupes armés a doublé, et le Congo vient de battre un chiffre record de déplacés, avec plus de sept millions de réfugiés sur son territoire.

Cette crise sécuritaire sans précédent a même obligé le président à avouer sur France 24 et RFI que les électeurs de Masisi, Rutshuru et Nyiragongo seraient privés de bulletins de vote en raison de l’insécurité. Le quotidien des Congolais ne s’est pas amélioré pendant le mandat de Félix Tshisekedi avec un Franc congolais malmené, et un accès à l’eau, à l’électricité et à la santé qui restent toujours chimériques.

Tentation autoritaire Côté gouvernance, le mandat Tshisekedi est également très mitigé. La lutte sélective contre la corruption, qui épargne les proches du camp présidentiel, et la tentation autoritaire du chef de l’Etat dans la répression des manifestation d’opposition ou l’arrestation de journalistes ou d’opposants politiques, rappelle les années noires du régime Kabila. Une dérive qui inquiète jusque dans les chancelleries occidentales. Pourtant, dans ce capharnaüm pré-électoral, Félix Tshisekedi pourrait tirer son épingle du jeu. Dans une présidentielle à un seul tour, le vainqueur peut remporter la mise avec un score très modeste, surtout lorsque 26 candidats briguent la magistrature suprême.

Une opposition divisée L’éparpillement des voix constitue le principal atout d’une victoire du président sortant. D’autant que du côté de l’opposition, les négociations pour trouver un très hypothétique candidat commun ne sont guère avancées. Les délégués des principaux leaders de l’opposition s’étaient réunis à Pretoria pour tenter de trouver un accord. Mais après quatre jours de conciliabule, seule une bien maigre feuille de route sans contrainte a été validée par quatre candidats, tenant à l’écart Martin Fayulu.

Des discussions doivent reprendre à Kinshasa entre « le groupe des quatre » (Katumbi, Mukwege, Matata, Sesanga), mais cela ne veut pas dire qu’ils se rangeront tous derrière une candidature unique.

Un dialogue en cas de contestation Avec une opposition en ordre dispersée, une guerre à l’Est qui va priver de vote une partie de l’électorat, plutôt déçue par les promesses de paix non-tenues de Tshisekedi, et un chaos logistique prévisible dans l’organisation du scrutin, le président sortant peut espérer sortir vainqueur d’élections, certes bâclées, mais qui auront eu le mérite de se tenir dans les délais constitutionnels. Une fois réélu, Félix Tshisekedi aura tout le loisir d’organiser un dialogue post-électoral et des négociations, en cas de forte contestation du scrutin par l’opposition.

Un Scénario écrit d’avance? Les élections pourraient alors se solder par la mise en place d’un énième gouvernement d’union nationale, intégrant les opposants susceptibles d’accepter un maroquin ou des postes-clés de la République. Joseph Kabila avait, en son temps, laisser la Primature à des membres de l’opposition, comme Samy Badibanga ou Bruno Tshibala. Pour faire mentir ce scénario qui semble écrit d’avance, seule une union forte de l’opposition avec l’ensemble des ténors réunis derrière un candidat commun serait en mesure d’inverser la tendance. Le premier ralliement, ce dimanche, de Matata Ponyo à Moïse Katumbi est un début. Il a été suivi par Seth Kikuni et Franck Diongo. Mais, pour le moment, pas de quoi changer la donne électorale.

Christophe Rigaud– Afrikarabia/Ruzizilaplume

Partager: