Le scénario de ce qui est présenté par l’armée congolaise comme une tentative de coup d’Etat « étouffée » se précise. Tout a commencé en fin de nuit, ce dimanche, par l’attaque avortée de l’hôtel Pullman, dans le centre de Kinshasa, où le président Félix Tshisekedi était attendu. Les assaillants sont composés d’un groupe d’une vingtaine d’hommes armés, en tenue militaire, arborant le drapeau du Zaïre, l’ancien nom de la République démocratique du Congo (RDC). Le groupe s’est ensuite rendu à la résidence de Vital Kamerhe, vice-premier ministre et candidat de la majorité présidentielle au perchoir de l’Assemblée nationale. Deux policiers et un assaillant ont été tués, selon le porte-parole de Vital Kamerhe, qui confirme également que le président de l’UNC et sa famille sont « sains et saufs ». Les assaillants se rendent ensuite au Palais de la Nation, les bureaux du président Félix Tshisekedi, qu’ils investissent brièvement. Sur les réseaux sociaux, le groupe fustige le pouvoir, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, indique qu’il vient de la diaspora et affirme vouloir « changer des choses dans la gestion de la République ».

En milieu de matinée, l’armée congolaise annonce avoir repris en main la situation et déjouer une tentative de coup d’Etat. Selon le porte-parole des FARDC, « des Congolais et des étrangers impliqués ont été mis hors d’état de nuire, y compris leur chef ». Sur les réseaux sociaux, on a pu rapidement identifier le nom de celui qui apparaît être à la tête du groupe d’assaillants. Il s’agit de Christian Malanga Musumari, un Congolais issu de la diaspora de 41 ans. Cet ancien militaire de formation a longtemps vécu aux Etats-Unis avant de se présenter aux législatives de 2011 dans les rangs l’opposition et d’être interpellé avant les élections pour être ouvertement anti-Kabila. Il forme alors un petit parti politique aux Etats-Unis, l’United Congolese Party (UCP). En 2017, il crée à Bruxelles un gouvernement en exil nommé Nouveau Zaïre.

Christian Malanga, profil « d’aventurier », a plusieurs casquettes. En plus de la politique, il fait également du business dans les mines, en RDC mais aussi au Mozambique. Une source sécuritaire nous indique que Malanga était également en contact avec l’ancien rebelle John Tshibangu, en 2016 et 2017, au moment où cet ex-colonel de l’armée régulière, qui avait fait défection, cherchait à monter une rébellion pour renverser Joseph Kabila. A l’époque, Malanga et Tshibangu s’étaient rapprochés d’anciens mobutistes issus de l’Equateur. Un parcours qui expliquerait les drapeaux zaïrois brandis ce matin au Palais de la Nation. Ironie du sort, John Tshibangu avait été libéré de prison en 2020 par Félix Tshisekedi qui l’a ensuite nommé général en 2022. Si Christian Malanga semble clairement impliqué dans l’attaque de ce dimanche, on peut légitimement s’interroger sur de possibles complicités extérieures ? Il sera difficile de le savoir, car Christian Malanga a été tué par la garde républicaine.

L’attaque du Palais de la Nation pose surtout de nombreuses questions. Tout d’abord sur la stratégie des assaillants, qui semblait voué à l’échec. La petite cinquantaine d’hommes n’a pas vraiment ciblé des sites stratégiques comme la télévision nationale (RTNC), l’aéroport, ou les camps militaires de la capitale, mais plutôt des symboles du pouvoir comme la résidence de Vital Kamerhe ou le Palais de la Nation. Sans doute, espéraient-ils rallier d’autres militaires frustrés par leurs conditions de vie ? Visiblement, l’attaque ne semblait pas coordonnée avec d’autres éléments armés qui aurait pu amplifier l’occupation du Palais de la Nation. Le groupe de putschistes n’a pas vraiment mis toutes les chances de son côté pour atteindre ses objectifs. Ensuite, l’attaque de ce dimanche révèle d’importantes failles sécuritaires, même si le pouvoir n’a pas vacillé. Comment sont-ils entrés dans le pays ? Comment les assaillants ont-ils pu se rendre aussi facilement au Palais de la Nation ? Les services de renseignements civils et militaires, ainsi que la direction générale des migrations (DGM) ont clairement montré des défaillances.

La tentative de coup d’Etat déjouée ce dimanche a été un choc pour tous les Congolais. Sans doute le plus important depuis l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila en 2001. Cette attaque ne restera pas sans conséquences. Sécuritaires tout d’abord. Dans les services de renseignements, mais aussi dans l’armée. Le ministre de la Défense, Jean-Pierre Bemba, candidat à sa propre succession dans le nouveau gouvernement à venir, est sur la sellette. Mais surtout, l’assaut du Palais de la Nation risque de durcir davantage un pouvoir en proie à une guerre à l’Est dont il n’arrive pas à venir à bout, et une crise politique dans sa propre majorité, qui n’arrive pas à s’accorder pour se partager les postes à l’Assemblée et au gouvernement. Visé par les assaillants, Vital Kamerhe, candidat unique au perchoir de l’Assemblée, se voit désormais menacé physiquement. De son côté, l’opposition redoute un raidissement sécuritaire du pouvoir qui pourrait servir de prétexte pour multiplier les intimidations et les arrestations arbitraires d’opposants ou de membres de la société civile. L’attaque du Palais de la Nation tombe en effet en plein vide institutionnel, où 5 mois après la réélection de Félix Tshisekedi, le pays attend toujours l’installation de l’Assemblée nationale et la sortie du nouveau gouvernement.

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