Il est le visage de la lutte contre les détournements de fonds et les malversations en République démocratique du Congo (RDC), un combat dont le président Félix Tshisekedi a fait sa principale priorité. Jules Alingete, le directeur de l’Inspection générale des Finances (IGF) est mis en cause pour avoir facturé des missions de consultance auprès de la Gécamines. Le bouillonnant chef de la « patrouille financière » est désormais soupçonné par le Procureur de la cour des Comptes de conflit d’intérêt pour de juteux contrats de conseil à 150.000 dollars par mois. Le directeur de la Gécamines, Placide Nkala doit être également auditionné par le procureur Salomon Tudieshe.

L’ONG anticorruption « Le Congo n’est pas à vendre » (CNPAV) se demande comment l’IGF peut se livrer à un tel exercice… pendant une mission de contrôle. Et ce, moyennant la coquette somme de 750.00 dollars « pour des prestations allant de novembre 2023 à février 2024 ». L’IGF a indiqué avoir répondu à une demande de la Gécamines qui souhaitait former ses agents à la passation de marchés publics. D’après le CNPAV, ces missions de formations seraient plutôt de la prérogative de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), et non de l’IGF, dont ce type de prestations n’entrent pas dans ses attributions. L’IGF ne peut pas jouer « double jeu », dénonce l’ONG anticorruption, celui de contrôle et celui de « conseil financier ».

Cette affaire tombe mal pour Jules Alingete. Car son nom est également cité dans une enquête menée par plusieurs journalistes pour des soupçons de fraude fiscale et douanière concernant les sociétés du groupe Rawji. Là encore, Jules Alingete aurait été recruté par le patron de cet empire familial pour « maquiller des comptabilités et planifier une fraude fiscale » selon ces journalistes. Une affaire qui reste, pour l’instant, en suspens au niveau judiciaire. A l’IGF, on plaide pour une campagne orchestrée par « les vrais fraudeurs » qui redoutent que « la patrouille financière ne s’intéresse à eux ».

Dans l’architecture anticorruption voulue par Félix Tshisekedi pour lutter contre ce mal endémique, qui touche toutes les strates de la société congolaise, l’IGF n’est pas la seule institution à combattre les « antivaleurs » qui pillent la république. Une Agence de prévention et de lutte contre la corruption (APLC) a également été mise en place par Félix Tshisekedi, dépendant, comme l’IGF, du cabinet présidentiel. Dans les faits, l’Agence de lutte contre la corruption est restée très discrète sur ses actions, alors que Jules Alingete a pris toute la lumière et a débusqué l’ensemble des affaires de détournements de fonds. Dans son bilan des 5 ans passés à la tête de l’IGF, Alingete s’était félicité d’avoir bloqué plus de 1,5 milliard de dollars de « dépenses irrégulières. Et parmi ces dépenses irrégulières, il n’est pas exclu qu’il y ait des actes de détournement » avait fait comprendre le chef de la patrouille financière.

Dernièrement, Félix Tshisekedi a rajouté une couche dans le mille-feuilles des organismes censés lutter contre la corruption en restructurant la cour des Comptes, peu active jusque-là. Les ennuis de Jules Alingete, que le procureur de la cour des Comptes veut entendre, pourrait être la conséquence de cette lutte de leadership au sein des institutions anticorruption. Pourtant, l’agitation de l’IGF ne semble pas avoir fait baisser le niveau de corruption, déjà stratosphérique, de la RDC dans les classements mondiaux. En 2024, le Congo fait encore partie des trois pays les plus corrompus d’Afrique francophone après le Burundi et le Tchad, selon Transparency International. Première raison : les actions de l’IGF ne mènent pas obligatoirement vers des poursuites judiciaires. Ensuite, lorsque celles-ci tombent, les accusés sont le plus souvent blanchis et les sommes détournées jamais retrouvées ou tracées.

Le dossier le plus emblématique est celui des détournements de fonds du « programme des 100 jours ». Vital Kamerhe, alors directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi, est condamné à vingt ans de prison pour avoir détourné près de 50 millions des dollars destinés à un projet de logement social. Il est finalement acquitté deux ans plus tard en appel, avant de réintégrer le gouvernement et de devenir aujourd’hui président de l’Assemblée nationale. Les autres « acteurs » de l’affaire sont également en liberté. Il y a les sommes de la taxe téléphonique RAM, ou l’argent détourné des fonds pour le Covid-19. Le ministre de la Santé est désormais libre. Dernièrement, l’Assemblée nationale aurait débloqué 309 millions de dollars sans aucune justification. Il y a aussi les distributions de jeeps aux députés, l’affaire de surfacturation de forages d’eau et de lampadaires qui a coûté sa place au ministre des Finances, Nicolas Kazadi, dans le nouveau gouvernement… La liste des faits de corruption est longue comme le bras, et les affaires débusquées par l’IGF semblent très sélectives et épargnent les premiers cercles du pouvoir… ou les réhabilitent très rapidement après quelques mois de prison. La kleptocratie congolaise se porte donc toujours bien malgré les déclarations de bonnes intentions de Félix Tshisekedi, qui avait fait de la lutte contre la corruption sa principale promesse de campagne en 2018.

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