Les rapports de l’ONU sur le conflit congolais se suivent et se ressemblent. La dernière livraison du groupe d’experts onusiens sur la situation sécuritaire en RDC rappelle une nouvelle fois la guerre sans fin que se mènent le Rwanda et la RDC par groupes armés interposés. Le rapport indique d’abord qu’après plusieurs mois d’accalmie sur le front du Nord-Kivu, le M23 « est resté maître » de ses positions stratégiques et a même « regagné des territoires perdus et en a conquis d’autres » depuis la reprise des combats en octobre 2023 contre l’armée congolaise (FARDC) et ses groupes armés affiliés. La rébellion a repris Kitchanga le 21 octobre, reconquis plusieurs localités dans la région de Tongo, dans le Rutshuru, et a avancé plus au Nord, en prenant le contrôle de Bambo. Les experts de l’ONU notent également que le M23 « a continué à renforcer sa capacité militaire, notamment par le recrutement et la formation, notamment en organisant des cours de remise à niveau militaire », comme à Tshanzu en mai 2023. Les membres du M23 qui se sont rendus ont indiqué que l’objectif de la rébellion était « de prendre le contrôle de l’aéroport de Kavumu, de Goma et de Bukavu, notamment en infiltrant les villes ».
Mais ce que pointe avant tout le rapport de l’ONU, c’est « l’appui continu » de l’armée rwandaise au M23, même si Kigali n’a eu de cesse, rapport après rapport, de nier tout soutien à la rébellion et toute présence de troupes en RDC. Pourtant, le groupe d’experts a obtenu de nouvelles preuves, dont des images aériennes et des photos, « d’interventions directes et de renforts de troupes » rwandaises au Congo, en particulier dans les territoires de Masisi, de Rutshuru et de Nyiragongo, les trois territoires sous domination M23. La présence de soldats rwandais a également été confirmée à l’ONU par des membres de la Force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), dont le Rwanda est pourtant membre. En octobre 2023, lors de la reprise des hostilités, le rapport onusien note la présence de soldats rwandais appartenant à cinq bataillons, « soutenus par plusieurs équipes d’appui tactique et de reconnaissance comprenant au total 250 ex-combattants des FDLR, et opérant sous le commandement du service du renseignement de la défense du Rwanda ». Autre preuve de l’intervention rwandaise au Congo, l’utilisation d’armements « de haute technologie », comme des mortiers de 120 mm guidés par laser, « qui n’ont jamais été trouvés sur le territoire de la République démocratique du Congo, ni dans l’arsenal des FARDC ».
Côté congolais, l’ONU n’est pas en reste. A la peine pour lutter efficacement contre le M23, Kinshasa n’hésite pas à mobiliser et à utiliser des groupes armés comme supplétifs pour combattre la rébellion, ainsi que l’armée rwandaise présente sur le sol congolais. Les rapports précédents avaient déjà pointé la collaboration de l’armée congolaise avec les FDLR, une milice opposée au pouvoir de Kigali. Aujourd’hui, Kinshasa s’appuie sur une coalition de groupes armés qui s’est baptisée « Wazalendo » (patriotes) au Nord et Sud-Kivu – voir notre article. Le rapport explique que, depuis juin 2023, plusieurs réunions se sont tenues à huis clos entre le patron de l’armée congolaise, le général Christian Tshiwewe et les groupes armés hostiles au M23. Des contacts entretenus en septembre par le nouveau gouverneur par intérim et commandant des opérations du Nord-Kivu, le général Peter Cirimwami. Des seigneurs de guerre sous sanctions, comme Guidon Shimiray Mwisa, chef du Nduma défense du Congo-Rénové (NDC-R), et des chefs des Forces démocratiques de libération du Rwanda-Forces combattantes abacunguzi (FDLR-FOCA) étaient présents, selon le groupe d’experts. Un rassemblement organisé sous couvert du Programme de démobilisation, de désarmement, de relèvement communautaire et de stabilisation, afin de sensibiliser les groupes armés au désarmement.
Cette coordination entre groupes armées Wazalendo et FARDC a permis de créer les Volontaires pour la défense de la Patrie (VDP), soit 8.000 combattants Wazalendo sous le commandement de Janvier Karairi Boingo de l’Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS), et de Guidon Shimiray Mwisa. Ironie du sort, ces groupes armés, désormais alliés avec Kinshasa, combattait l’armée régulière dans les territoires sous leur contrôle. Le rapport affirme que les Wazalendo ont pu bénéficier d’un soutien en armes, logistique et en argent liquide, via le colonel Christophe Kenge, administrateur militaire territorial de Masisi, et le colonel Salomon Tokolonga, en violation de l’embargo sur les armes. Malgré les offensives lancées par les Wazalendo à l’automne 2023, Kinshasa n’a pas pu reprendre les positions occupées par le M23, qui en a même profité pour étendre sa zone de contrôle dans le Rutshuru, le Masisi et le Nyiragongo.
Les groupes armés Wazalendo ne sont pas les seuls soutiens de l’armée congolaise. Le rapport de l’ONU fait état de l’aide discrète des Forces nationales de défense du Burundi (FNDB), que le M23 accuse de combattre aux côté des FARDC sous la bannière de la force régionale de Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) qui a récemment mis fin à sa mission du Congo. Les experts révèlent que 1.070 soldats burundais en uniforme FARDC ont été déployés « secrètement » à l’automne dans la zone de Sake et Kitchnaga « en dehors du cadre de la Force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est ». Un déploiement, qui était censé protéger Goma d’une possible incursion du M23. Bujumbura a réfuté les accusations du rapport. Enfin, la présence de deux sociétés militaires privées, Agemira RDC et Congo Protection, a été largement documentée. Congo Protection a, par exemple, supervisé des frappes d’artillerie contre les positions du M23 et des RDF, ordonnées par les FARDC sur les conseils stratégiques d’Agemira RDC. Toutefois, les demandes de l’armée congolaise de déployer ces militaires privés sur des zones de combats ont toutes été refusées. Ces deux sociétés ont essentiellement apporté une aide logistique de transport de troupes ou de planification militaire.
Cet énième rapport des Nations unies démontre une nouvelle fois la complexité de l’écheveau sécuritaire congolais, et l’empilement des couches : plus de 200 groupes armés, armés étrangères, casques bleus, armée congolaise, réfugiés… Réélu par un second mandat, le président Félix Tshisekedi n’a jamais réussi à maîtriser le conflit. Toutes ses tentatives pour essayer de restaurer la stabilité dans l’Est du pays ont échoué : état de siège, accords bilatéraux avec l’Ouganda et le Burundi, Force régionale est-africaine, négociations, Wazalendo… Les tâtonnements du chef de l’Etat en matière sécuritaire n’ont jamais porté leurs fruits. Le nombre de groupes armés a doublé en cinq ans, les rayons d’action des ADF, affiliés à l’Etat islamique, ou du M23 se sont étendus, et le nombre de déplacés internes s’élève aujourd’hui à 7 millions, un record jamais atteint au Congo.
Après l’échec de la Force régionale de l’EAC, le président Tshisekedi compte désormais sur la nouvelle mission militaire de la SADC (Southern African Development Community) pour tenter de mettre fin au M23. Les premières unités ont commencé leur déploiement le 15 décembre, mais personne ne sait vraiment si leur mandat sera offensif ou non. La passivité des soldats de l’EAC et de la Monusco face aux rebelles du M23 avait été le principal reproche des autorités congolaises et de la population qui avait poussé au départ de ces deux missions militaires. Le texte qui encadre la nouvelle force reste des plus vagues et ne fait pas référence explicitement au caractère offensif de la force. Le communiqué de la SADC n’en dit pas davantage sur la volonté ou non de combattre le M23 sur le terrain. Restent que les soldats du Malawi, d’Afrique du Sud, et de Tanzanie sont pour l’instant les seuls espoirs de Félix Tshisekedi pour tenter de faire plier le M23. Lors de la campagne électorale de décembre, le candidat-président avait réitéré sa promesse de ramener la paix à l’Est.
En cas de nouvel échec militaire, le président congolais n’aura sans doute pas d’autres choix que de tenter des négociations avec le groupe armé, ce qu’il a toujours refusé, qualifiant le M23 de groupe terroriste. Si politiquement, toute discussion avec les rebelles s’annoncera des plus délicates, l’équation vient récemment de se complexifier avec la création d’une plate-forme politico-militaire créée par l’ex-patron de la Commission électorale, Corneille Nangaa, et le M23. L’objectif des rebelles était de s’appuyer sur une personnalité congolaise reconnue pour négocier avec Kinshasa sous un angle plus politique. Mais pour l’instant, l’heure n’est pas au dialogue du côté des autorités congolaises qui veulent utiliser toutes les options militaires possibles pour éradiquer le groupe rebelle.
Christophe Rigaud – Afrikarabia/Ruzizilaplume