Après une victoire écrasante à la présidentielle de décembre 2023, Félix Tshisekedi s’est assuré les pleins pouvoirs à l’Assemblée nationale, où sa coalition présidentielle a raflé plus de 90% des 474 sièges déjà attribués. Pour son second mandat, le président se retrouve avec une marge de manoeuvre considérable pour composer son nouvel exécutif et appliquer son programme électoral, malgré un scrutin qui reste entaché de fraude et contesté par l’opposition. Le temps de la cohabitation avec le camp Kabila après les élections de 2018 n’est plus qu’un lointain souvenir. Le chef de l’Etat vient d’ailleurs de nommer un « informateur » pour identifier la coalition majoritaire et permettre la formation du nouveau gouvernement. La mission est revenue à Augustin Kabuya, le secrétaire général de l’UDPS, le parti présidentiel arrivé en tête des législatives. Sur le papier, la majorité présidentielle est déjà largement identifiée au sein de la très puissante Union sacrée. Mais à y regarder de plus près, l’équilibre entre les différents partis de la plateforme sera complexe à gérer, notamment dans les distributions des postes au sein du gouvernement, de l’Assemblée et du Sénat. Le camp présidentiel est, en effet, composé d’une mosaïque très hétéroclite de nombreux petits partis. « Beaucoup trop nombreux » estiment même certains membres de la coalition au pouvoir.
L’Union sacrée va d’abord devoir faire face aux nombreux candidats-députés déçus, qui n’ont pas été élus le 20 décembre. Le camp présidentiel avait volontairement refusé d’imposer un candidat unique de l’Union sacrée dans chaque circonscription. Résultat : des milliers de candidats avaient tenté leur chance en s’affichant comme des soutiens du président Tshisekedi, espérant ainsi décrocher le mandat législatif et les 21.000 dollars d’émoluments qui vont avec. Au total, plus de 25.000 candidats se sont présentés aux législatives nationales… pour 500 sièges de député. Les déçus sont donc très nombreux et certains groupements politiques, membres de l’Union sacrée, contestent le très complexe calcul de seuil d’éligibilité qui exclut certains candidats, pourtant arrivés en tête des votes. Des contestataires et une fronde, qui ont été balayés d’un revers de main par le Conseil constitutionnel.
Pour Félix Tshisekedi, il faudra décider de l’avenir du MLC de Jean-Pierre Bemba au sein de la majorité, autre grand perdant des législatives avec seulement 19 députés élus. Au sein du parti bembiste, le score des législatives ressemble à une punition. Ou plutôt à un avertissement pour le très ambitieux patron du MLC, qui se rêve toujours un destin présidentiel. Jean-Pierre Bemba n’a pas abandonné l’idée de se présenter, ce qui pourrait être le cas en 2028 à la fin du deuxième et dernier mandat de Félix Tshisekedi. Le chef de l’Etat va donc devoir trouver une place pour les membres du MLC et son chairman, actuellement locataire bien peu efficace du ministère de la Défense. A la présidence, on plaide plutôt pour un maintien de Jean-Pierre Bemba dans le dispositif gouvernemental, ou au pire bien pour exfiltration vers la présidence du Sénat. « Il vaut mieux voir Bemba dedans que dehors » confie un membre de la majorité. Surtout que l’on sait le chairman prêt à quitter le navire à tout moment pour jouer sa carte personnelle en cas d’enlisement du second mandat de Félix Tshisekedi à l’Est.
A l’Assemblée nationale, Félix Tshisekedi ne devrait pas avoir de mal à tenir sa majorité, composée pour cette législature d’une grande majorité de nouveaux élus : 337 exactement. La stratégie de laisser des multitudes de candidats étiquetés Union sacrée se présenter pour « faire le ménage » dans la chambre basse a visiblement bien fonctionné. Les nouveaux arrivants devraient être plus redevables et fiables que les transfuges du FCC de Joseph Kabila qui avaient rejoint opportunément l’Union sacrée pour quelques dollars. Félix Tshisekedi avait d’ailleurs prévenu pendant la campagne électorale que l’Assemblée nationale ne l’avait pas beaucoup aidé pour son premier mandat. Pourtant, les appétits de certains s’aiguisent au sein de l’Union sacrée. C’est le cas d’un autre ambitieux poids lourd de la plateforme : Vital Kamerhe. Son parti, l’UNC, a récolté 36 élus à l’Assemblée, ce qui le place en bonne position derrière l’UDPS pour rafler des postes importants.L’ancien allié à Félix Tshisekedi pendant les élections de 2018 a traversé de drôles d’embûches après l’élection de son poulain il y a cinq ans. Il se voit d’abord souffler le poste de Premier ministre, pourtant promis, par un membre du camp Kabila vainqueur aux législatives. Nommé directeur de cabinet de la présidence, Vital Kamerhe se retrouve accusé de détournements sur fond de règlement de compte politique avec l’entourage présidentiel. Condamné à 20 ans de prison pour malversation, il sera finalement blanchi par la justice et reviendra dans l’arène politique au poste de ministre de l’Economie. Il sera pourtant difficile au patron de l’UNC de briguer la Primature tant désirée du premier mandat. Le poste devrait revenir logiquement à l’UDPS, le parti le mieux représenté à l’Assemblée. De plus, les ennuis de Vital Kamerhe avec la justice dans l’affaire des détournements de fonds du « programme des 100 jours » seraient du plus mauvais effet pour ouvrir le nouveau mandat de Félix Tshisekedi qui place toujours la lutte contre la corruption comme une de ses priorités.
L’ambitieux Vital Kamerhe compte bien peser très lourd dans le second mandat Tshisekedi. Lui aussi n’a pas oublié son dessein présidentiel. Il avait d’ailleurs négocié avec Félix Tshisekedi, avant les élections de 2018, qu’il serait candidat pour lui succéder à la tête de l’Etat en cas de victoire. Si cela n’était plus d’actualité pour le scrutin de 2023, Vital Kamerhe, comme Jean-Pierre Bemba, vise déjà les élections de 2028 et cherche déjà à se positionner. Pour s’imposer comme une personnalité incontournable sur l’échiquier politique et récupérer le plus grand nombre de postes, le patron de l’UNC a pris tout le monde de court en créant sa propre plateforme au sein de l’Union sacrée : Pacte pour un Congo retrouvé (PCR). Sa nouvelle coalition pèse désormais 88 députés avec des personnalités comme Jean-Lucien Bussa, ministre du Commerce extérieur et patron du Code, Julien Paluku, ministre de l’Industrie et président d’A/B50, et Tony Kanku à la tête de l’AAAP… et propre cousin de Félix Tshisekedi. La création de la coalition de Vital Kamerhe a clairement jeté un froid avec l’UDPS présidentiel, qui, avec ses partis satellites, affiche 130 députés. Un autre cacique de la majorité cherche à continuer d’exister dans le second mandat Tshisekedi. Il s’agit de l’actuel premier ministre Sama Lukonde qui vient lui aussi de créer sa propre plateforme Dynamique, Agissons et Bâtissons (DAB). Avec ses 72 députés nationaux, il compte des personnalités politiques importantes comme Guy Loando (AREP), Dany Banza (ACO) ou l’ex-conseiller à la présidence Jean-Claude Kabongo. En coulisse, des ténors de l’Union sacrée jouent des coudes. C’est le cas de Modeste Bahati, le président du Sénat et Christophe Mboso, le patron de l’Assemblée nationale. Bahati, fort des 36 députés élus sous l’étiquette de son parti (AFDC-A), accuse le président de l’Assemblée nationale de vouloir débaucher des députés pour se maintenir au perchoir de la chambre basse. Entre les batailles d’ego et les multiples groupements politiques à récompenser pour leur soutien à la présidentielle, Félix Tshisekedi a du pain sur la planche pour composer son nouvel exécutif. Un subtil dosage qui risque de virer au casse-tête, faute de pouvoir contenter tout le monde.
Si la nouvelle majorité présidentielle semble moins hétéroclite que la précédente, elle ne sera pas plus facile à manœuvrer. Le second mandat de Félix Tshisekedi étant censé être son dernier selon la Constitution actuelle, les appétits de nombreux politiques risquent de rendre la vie de la majorité difficile à gérer. Et pour ne rien arranger, certains proches du président Tshisekedi, comme l’actuel ministre de la Communication, Patrick Muyaya, ont déjà commencé à lancer des ballons d’essai autour d’une possible modification de la Constitution. Sans préciser si les articles sur la durée et le nombre de mandats présidentiels pouvaient être rediscuter. De quoi alimenter l’effervescence du microcosme politique congolais et réveiller les ambitions les très nombreux partenaires de la majorité.