Après six longs mois d’attente et de tractations interminables sur le partage des postes pour la composition du bureau de l’Assemblée nationale et du gouvernement, le nouvel exécutif de la Première ministre Judith Suminwa a été investi sans surprise à une très large majorité par 397 voix sur 405. Dans un discours fleuve, la nouvelle patronne de gouvernement congolais a déroulé son « ambitieux » programme, selon ses propres mots, pour les cinq années à venir. Il n’y a rien de vraiment neuf dans les propositions de Judith Suminwa tant les chantiers sont nombreux et connus de tous les Congolais depuis des décennies. Emploi, sécurité, accès à l’eau à l’électricité, à la santé ou à l’éducation, sans parler des infrastructures de bases toutes inexistantes… Tout manque au Congo. Plus de 70% de la population vit toujours au-dessous du seuil de pauvreté. Le chantier est colossal et les promesses de Judith Suminwa ressemblent comme deux gouttes d’eau à celles de Joseph Kabila et ses « cinq chantiers », ou celles de Félix Tshisekedi pendant les campagnes présidentielles de 2018 ou 2023.

Unbudgettoujourssous-dimensionné

Les sept axes présentés par Judith Suminwa peuvent se résumer en deux mots : sécurité et social. La fin du conflit à l’Est, la chute du franc congolais et l’absence d’accès aux services de base, sont aujourd’hui les priorités de la population. Le problème, c’est que l’Etat a toujours manqué cruellement de moyens pour développer le pays. Le peu d’argent qui rentre dans les caisses part dans le fonctionnement d’institutions budgétivores, mais surtout, il se volatilise avant d’arriver sur les comptes du Trésor public à cause d’une corruption quasi-endémique. Le programme quinquennal de Judith Suminwa est estimé à 92 milliards de dollars sur les cinq ans à venir, soit 18 milliards par an. Actuellement, à peine plus de 10 milliards rentrent dans les caisses de l’Etat. Une goutte d’eau pour un pays grand comme l’Europe occidental avec 100 millions d’habitants. D’autant que rien ne dit que le chiffre avancé par la Première ministre soit tenu. C’est d’ailleurs systématiquement le cas depuis des années, même s’il faut reconnaître que Félix Tshisekedi a réussi à augmenter substantiellement le budget pendant son premier mandat.

Despromessessouventnon-tenues

La crise sécuritaire est l’une des priorités du nouvel exécutif. Avec 7 millions de déplacés internes, plus de 100 groupes armés et des rebelles du M23 qui tiennent d’importantes zones du Nord-Kivu, la Première ministre compte investir 18 milliards de dollars sur cinq ans dans la Défense, soit plus de 3 milliards par an. C’est deux fois plus qu’actuellement. 28 milliards sont alloués aux infrastructures et 15 milliards à l’accès aux services de base. Le programme gouvernemental est chargé, reste surtout à savoir s’il sera honoré. On se souvient que le programme des 100 jours, ou celui plus récent des 145 territoires sont loin d’avoir tenus toutes leurs promesses. Idem pour la promesses-phares du candidat Tshisekedi en 2019 sur la gratuité de l’enseignement. Si sur le papier, la gratuité est effective, mais la réalité est plus mitigée sur le terrain : classes surchargées, manque d’équipements, conditions d’enseignements dantesques…

Soupçonsdecorruption

La Première ministre aura-t-elle les coudées franches pour gouverner ? Après le très transparent Sama Lukonde, Judith Suminwa suscite beaucoup d’espoir. Elle a pourtant déjà dû revoir ses ambitions. Notamment de pouvoir composer une équipe réduite moins budgétivore, en l’absence de chefs de partis. Son gouvernement est composé de 54 membres, contre 57 pour celui de Sama Lukonde, et les tractations politiques ont largement pollué le long feuilleton de la composition de son équipe. Concernant la lutte anti-corruption, une des promesses du président Tshisekedi et du programme gouvernemental, une note du Centre de recherche en finances publiques et développement local (Crefdl) a jeté le trouble sur les conditions d’investiture du gouvernement Suminwa. Le Centre de recherche affirme que « chaque député aurait touché 30.000 dollars pour participer au vote de confiance du nouveau gouvernement. Ce sont près de 14 millions de dollars décaissés par l’Etat pour motiver les députés nationaux ». Un bien mauvais départ si l’information se confirme.

UnePremièreministresous-contrôle

Pour s’imposer, la Première ministre aura également fort à faire. Elle devra asseoir son autorité sur des ministères régaliens, tous tenus par des très proches du président, venant de son cabinet. Il faudra aussi manoeuvrer avec le parti présidentiel qui contrôle les portefeuilles-clés et un secrétaire général des plus imprévisibles. A Kinshasa, on reparle du risque d’un gouvernement parallèle géré par la présidence avec ses cinq ministres-clés (Intérieur, Défense, Economie, Plan). Il faudra, enfin et surtout, composer avec une Assemblée nationale des plus fragiles et des députés des plus retors. D’autant qu’à sa tête, Vital Kamerhe cherchera lui aussi à peser sur les textes présentés par l’Assemblée. Lors de la première séance, le président de l’Assemblée s’est déjà imposé comme le vrai patron, n’hésitant pas à tacler l’ancien président Mboso dont les militants tentaient de perturber l’hémicycle. Kamerhe pourrait agir à l’Assemblée comme un Premier ministre-bis. Un piège attend enfin la nouvelle Première ministre : celui du possible projet de loi sur une révision ou une réécriture de la Constitution. Un projet qui pourrait modifier le nombre ou la durée du mandat présidentiel. Dans ce cas, Judith Suminwa sera en première ligne pour affronter une majorité bien peu disciplinée et un président de l’Assemblée nationale qui ne laissera pas passer un texte qui pourrait le priverait d’une candidature à la magistrature suprême en 2028. Ce début de second mandat de Félix Tshisekedi est plein de chausse-trappes.

Christophe Rigaud – Afrikarabia/Ruzizilaplume

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