On se souvient que la présidence de Joseph Kabila (2001-2019) avait été marquée par le « contrat du siècle » signé avec Pékin, sous forme de troc : ressources naturelles contre infrastructures. Un contrat largement déséquilibré, au détriment de la RDC, que le nouveau président Félix Tshisekedi a finalement amendé début 2024. Mais depuis son accession contestée au pouvoir en 2019, Félix Tshisekedi s’est tourné vers de nouveaux partenaires économiques : le Qatar et les Emirats arabes unis (EAU). Dans un rapport très documenté de l’Institut français des relations internationales (Ifri), Thierry Vircoulon et Jean Battory se sont intéressés au rapprochement de Kinshasa avec les pays du Moyen-Orient et aux accords signés dans les secteurs des mines et des infrastructures de transport.

Ce « virage moyen-oriental » de Félix Tshisekedi est censé « attirer des investissements et contribuer au développement du pays ». Sur le papier, la zone géographique est intéressante. Les Emirats arabes unis, et principalement Dubaï, se trouvent sur la route commerciale entre l’Afrique et l’Asie. « Les facilités d’obtention de visa et la multiplicité des zones franches expliquent l’implantation des importateurs congolais à Dubaï il y a quelques années. Mais de destination professionnelle pour les commerçants, Dubaï est aussi devenue une destination touristique pour l’élite congolaise » explique le rapport.

Le secteur portuaire congolais intéresse particulièrement Dubaï, et Kinshasa cherche depuis des années à développer sa façade maritime et à construire un port en eaux profondes. C’est le cas du port de Banana, un projet lancé sous Joseph Kabila avec, déjà, un partenaire du Golfe : Dubaï Port World (DP World). Le projet a été renégocié par Félix Tshisekedi, toujours avec DP World, et la première pierre de l’ouvrage a été posée en février 2022 pour une livraison annoncée pour 2025. Avec le Qatar, une ligne aérienne Doha-Kinshasa est envisagée avec la compagnie Qatar Airways. Les Qataris sont également intéressés par la modernisation des ports fluviaux, comme ceux de Matadi, Boma et Kinshasa. Un contrat pour la concession du port de Matadi a été signé avec la société italo-suisse Mediterranean Shipping Company (MSC) « qui travaille dans ce projet avec Maha Capital Partners, en partie contrôlé par le fonds souverain qatari Qatar Investment Authority » indique la note de l’Ifri.

Dans le secteur minier, les Emirats arabes unis « sont depuis longtemps la première destination de l’or artisanal congolais » qui était, jusqu’à la fin du XXe siècle, raffiné en Afrique du Sud, en Suisse ou dans l’ancienne colonie belge. « À partir de 2021, le président Tshisekedi a cherché une porte d’entrée pour des investissements émiratis dans le secteur minier. Le choix s’est alors fixé sur le carré minier de Zani Kodo dans la province de l’Ituri, propriété de la société minière publique de Kilo Moto (SOKIMO) ». Fin 2022, Kinshasa signe un accord de partenariat avec la société Primera Group, « très proche du pouvoir émirati », pour l’exploitation artisanale et l’exportation de l’or, de l’étain, du coltan et du tungstène. Cet accord prévoit la création de deux sociétés congolaises (Primera Gold et Primera Metals) avec une participation majoritaire de Primera (55 %) dans les deux sociétés. Signe de la proximité entre business et politique au Congo, « la vente du premier lingot d’or depuis la RDC vers les EAU a été organisée à la Cité de l’union africaine à Kinshasa (siège de la présidence congolaise – ndlr) sous le patronage de Félix Tshisekedi » expliquent Thierry Vircoulon et Jean Battory. Fin août 2023, Primera Gold affirme avoir exporté 3 tonnes d’or vers les Emirats arabes unis.

Un autre contrat minier est également signé en juillet 2023 entre la Société aurifère du Kivu et du Maniema (SAKIMA) société émiratie Primera Mining. Mais contrairement au partenariat avec Primera Group, ce contrat comprend la création de centrales électriques, d’infrastructures routières (2.200 km de route), ainsi que la réhabilitation de deux aéroports. Le montant du contrat se chiffre à 1,9 milliard de dollars. Derrière ces projets, préviennent les deux chercheurs, se cachent surtout « la lutte pour le contrôle des ressources financières par les réseaux de pouvoir congolais ». Les nouveaux partenaires moyens-orientaux permettent « de neutraliser certains réseaux d’affaires de l’opposition et de les supplanter », notamment ceux de l’ancien pouvoir kabiliste. C’est le cas du port de Banana. « Sans en référer au président Tshisekedi, racontent Thierry Vircoulon et Jean Battory, les ministres (pro-Kabila – ndlr) des Finances, José Sele, du Portefeuille, Clément Kwete, et le Vice-premier ministre en charge du Budget, Jean Baudouin Mayo Manbeke, tous membres du Front commun pour le Congo, renouvelèrent le contrat de DP World en ignorant les renégociations engagées directement par la présidence avec DP World. Cet imbroglio au sein du gouvernement congolais surprit DP World qui, par précaution, se rangea du côté du président Tshisekedi en acceptant une renégociation ».

L’arrivée des Emirats arabes unis dans le secteur minier a créé des tensions politico-financières entre le nouveau et l’ancien pouvoir. « La tentative d’offrir la zone minière de Zani Kodo à des intérêts émiratis a échoué face au contrôle de ce permis minier par des affidés de Joseph Kabila ». En juillet 2023, « le gouvernement a, sans préavis, retiré son agrément à la société Congo Gold Raffinerie qui était sur le point d’inaugurer une raffinerie d’or artisanal à Bukavu et réunissait des intérêts proches de Joseph Kabila ». Mais le rapport tire surtout la sonnette d’alarme sur « la gouvernance déficiente » de l’Etat congolais, qui risque, comme par le passé, de faire échouer les projets. « Les grands projets nécessitent une gouvernance d’État stable et cohérente dont la RDC est privée depuis longtemps (…). Dans cette perspective, le retard déjà pris dans le projet du port de Banana suscite des inquiétudes chez DP World ». Les projets qataris dans le secteur aéroportuaire connaissent également d’importants retards. Concernant le partenariat avec Primera Gold, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer les avantages fiscaux « exorbitants causant un manque à gagner pour la RDC », ou les doutes sur la « propreté » de l’or exporté, dont rien ne dit qu’il ne provient pas de zones contrôlées par les groupes armés.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’arrivée de ces nouveaux partenaires économiques venant du Moyen-Orient interroge. Les accords signés par Félix Tshisekedi avec le Qatar ou Dubaï ressemblent comme deux gouttes d’eau au fameux « contrat du siècle » signé par Joseph Kabila avec la Chine « qui avait cru trouver un nouveau bailleur idéal ». « Le risque principal de cette diplomatie d’affaires répétitive, avertissent Thierry Vircoulon et Jean Battory, est que les intérêts personnels prévalent et relèguent les intérêts publics au second plan ». Car au Congo, la vente des ressources de l’Etat reste « une des principales voies d’enrichissement de l’élite » congolaise, se désolent les chercheurs. Cette accaparement des richesses par le pouvoir de Kinshasa est étrangement similaire aux pétromonarchies du Golfe, où « les grands contrats sont liés d’une façon ou d’une autre à la famille régnante ». On comprend alors un peu mieux pourquoi « l’Etat business » du Congo et les pétromonarchies se sont rencontrés.

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