Premier jour sans combat au Nord-Kivu… ou presque. Depuis le 5 juillet, une trêve humanitaire est observée sur le terrain entre les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, et l’armée régulière congolaise et leur milice supplétive Wazalendo. Cette trêve surprise a été annoncée jeudi 4 juillet par le département d’Etat américain. Pendant deux semaines, les parties en conflit se sont engagées à faire taire les armes afin de « permettre le retour volontaire des personnes déplacées et à fournir au personnel humanitaire un accès sans entrave aux populations vulnérables ». Il faut dire que depuis la résurgence de la rébellion du M23 fin 2021, la situation n’a cessé de se dégrader. Selon Bruno Lemarquis, le Coordonnateur des opérations humanitaires de l’ONU en RDC, s’est récemment alarmé du chiffre record de 7.3 millions de déplacés au Congo. « 40% de la population de l’Ituri, plus de 30% de la population du Nord-Kivu et 20% de la population du Sud-Kivu sont déplacées » a-t-il déploré. Cette pause dans les hostilités va donc permettre aux humanitaires de pouvoir se déplacer dans des zones où certaines ONG internationales avaient cessé de se rendre, notamment autour de Kanyabayonga, où plus de 100 000 personnes ont quitté leurs foyers. Les populations déplacées vont donc pour pouvoir souffler un peu.

Le Nord-Kivu avait déjà connu un cessez-le-feu pendant les élections de décembre 2023. Quelques jours de répit seulement. Mais les affrontements avaient repris de plus belle après le scrutin et la réélection de Félix Tshisekedi. Comme en décembre dernier, ce sont les Etats-Unis qui sont à la manoeuvre, soutenus par l’Union européenne. Aujourd’hui, le timing de cette trêve humanitaire, imposée par Washington, est tout sauf le fruit du hasard. Le communiqué de la Maison Blanche nous apprend que cette option est en discussion depuis la visite de la patronne du renseignement américain, Avril Haines, à Kigali et Kinshasa… en avril dernier. Autre point important, Washington ne mentionne pas le M23 dans son communiqué et indique seulement que « les gouvernements de la RDC et du Rwanda » soutiennent la trêve de deux semaines « visant à soulager les souffrances des populations ». Intéressant lorsque Kigali continue de réfuter toute aide au M23 et toute présence de ses soldats sur le sol congolais.Kinshasa joue la carte humanitaire pour justifier son accord à l’arrêt des combats. « Il est urgent que ces populations puissent être secourues » indique le gouvernement. Mais au Congo, quelques voix s’élèvent pour se demander : à qui profite vraiment cette trêve ? C’est le cas du président de l’ASADHO, Jean-Claude Katende.

Le défenseur des droits humains se demande « pourquoi cette trêve intervient quelques jours après que le Rwanda ait pris de nouveaux territoires congolais ? Est-ce pour permettre au Rwanda et au M23 de consolider leurs positions ? » Une interrogation qui intervient alors que la rébellion en profite justement pour installer sa propre administration à Kirumba, une cité que le M23 vient tout juste de conquérir. Le porte-parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya, a tenu à rassurer en affirmant que l’armée congolaise « restera vigilante pour prévenir toute tentative de violation de cette trêve par les ennemis de la République ». Le ministre y voit également un signe encourageant, notamment pour le retrait des troupes rwandaises. « Pourquoi nos autorités acceptent pareille demande ? » se demandait Jean-Claude Katende le 5 juillet.

La réponse est en fait arrivée ce dimanche avec l’annonce d’une première discussion, à Kigali, entre la vice-ministre des Affaires étrangères congolaise Gracia Yamba Kazadi et le ministre des Affaires étrangères rwandais Olivier Nduhungirehe. C’est d’ailleurs ce dernier, qui a annoncé la tenue de la rencontre dans le cadre de l’East African Community (EAC) sur les réseaux sociaux. Sur son compte X, le nouveau patron de la diplomatie rwandaise a souligné que la réunion s’était déroulée « dans un esprit constructif et orienté vers des solutions », soulignant que cette solution était politique. Olivier Nduhungirehe a également annoncé que « des décisions concrètes ont été prises pour relancer les processus de paix de Luanda et de Nairobi », les deux cadres de négociations en cours. Toujours sur X, Kinshasa a rapidement temporisé : « Pas si vite Olivier Nduhungirehe, dans ce cadre consultatif non-décisionnel de l’EAC, notre vice-ministre a indiqué un message très clair : la souffrance humaine et les déplacements sont dus aux actions violentes de l’armée rwandaise et du M23, ce cadre ne se substitue pas au processus de Luanda. Rendez-vous à Luanda » a souligné le ministère des Affaires étrangères congolais.

Cette trêve humanitaire surprise avait donc un objectif caché, en plus de venir en aide aux populations déplacées. Il s’agissait de faire taire les armes dans un moment, où Washington et l’Union européenne cherchent à obtenir une rencontre au sommet entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Depuis plusieurs semaines, le médiateur du conflit congolais, le président angolais Joao Lourenço, négocie en coulisse des discussions directes entre les deux chefs d’Etat pour ramener la paix au Congo. Cette trêve semble donc constituer l’apaisement indispensable sur le terrain militaire à une rencontre Tshisekedi-Kagame. D’autant que l’accalmie sur le front du Nord-Kivu intervient en pleine élection présidentielle rwandaise, à laquelle Paul Kagame concourt pour un quatrième mandat, gagné d’avance. Il reste donc jusqu’au 19 juillet pour trouver les modalités d’une entrevue entre les deux présidents… à condition que la trêve tienne sur le terrain militaire. Des affrontements ont déjà été signalés près de Matembe, à 50 km au Nord de Kanyabayonga.

Partager: